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10 septembre 2008

L'Eglise de France en quête de visibilité

L'Eglise de France est-elle en voie d'extinction ? A s'en tenir aux statistiques publiées, en 2008, dans le guide de l'Eglise catholique en France, il semble légitime de s'interroger. A l'occasion de l'arrivée de Benoît XVI, Pèlerin fait le point.

Les dernières statistiques publiées, en 2008, dans le Guide de l'Eglise catholique en France, ne sont pas bonnes. Qu'apprend-on ? En dix ans, le nombre de prêtres et de séminaristes a chuté d'un quart. Que celui des baptêmes et des mariages célébrés à l'Eglise s'est effondré. Que moins de cent prêtres diocésains sont ordonnés chaque année et qu'à peine 5 % de la population française pratique régulièrement. Alarmant ? Rien de bien nouveau, sinon que la tendance amorcée dans les années 1970 ne fait que s'accélérer. La sociologue Danièle Hervieu-Léger ne diagnostiquait-elle pas, en 2003, au sujet du catholicisme français, la « fin d'un monde » (1) ?

Le refrain est connu. En France, comme dans d'autres pays d'Europe occidentale, l'Eglise renverrait, au mieux, à une minorité silencieuse, au pire, à un passé révolu. Vu du Vatican, la « fille aînée » de l'Eglise a longtemps fait figure de zone sinistrée de la foi, rongée par le « sécularisme » et « l'indifférentisme ». Mais la vie spirituelle d'un pays se résume-t-elle à une poignée de courbes descendantes ? Non, répondent les sociologues.

"On continue de se reconnaître dans l'Eglise"

« Toute une partie de non-pratiquants continue de se reconnaître dans l'Eglise : ils la sollicitent aussi bien pour des rites - baptêmes, mariages, funérailles - que pour accompagner leur quête de sens », rétablit Céline Béraud, maître de conférences à l'université de Caen (Calvados). Mgr Claude Dagens, évêque d'Angoulême (Charente), auteur d'une récente Méditation sur l'Eglise catholique en France (2), va plus loin : « La culture catholique est profondément inscrite dans la société française. Nos contemporains, réputés si indifférents aux réalités religieuses, portent en eux de réelles préoccupations spirituelles. A nous d'y être attentifs. »

Est-ce à dire qu'en France, la parole de l'Eglise catholique est plus attendue qu'il n'y paraît ? « Elle l'est bel et bien, mais dans des conditions nouvelles », poursuit Mgr Dagens. Sécularisation, mondialisation, pluralisme religieux... La donne a changé en un siècle. L'Eglise n'apparaît plus comme un bloc soucieux de dicter sa vision du monde. D'ailleurs, se dire « catho » ne passe plus pour incongru. De l'humoriste Bigard, choisi par le président Sarkozy pour l'accompagner au Vatican, au comédien Laurent Baffie, sans oublier les frères Capuçon, virtuoses de l'archet, des personnalités médiatiques ne font plus mystère de leurs convictions religieuses.

« Dans un monde déchristianisé, c'est une tendance nouvelle qu'il faut prendre en compte », observe le P. Philippe Verdin, dominicain et auteur, en 2005, d'un ouvrage, avec Nicolas Sarkozy, où le ministre de l'Intérieur d'alors expose sa vision du rôle des religions dans la société (3). Et que dire de la vitalité retrouvée des cérémonies de pardon en Bretagne, du succès des pèlerinages - six millions de visiteurs chaque année à Lourdes ? Autre phénomène, mis en évidence par Olivier Bobineau, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris : la fidélité, la famille et l'agapè, l'amour au sens évangélique, arrivent en tête des enquêtes de valeurs menées auprès des Européens âgés de 18 à 35 ans. « Il est surprenant de constater que l'Eglise a remporté le combat des valeurs dans une société par ailleurs acquise à l'individualisme », souligne le sociologue.

Peser dans le débat public


Une Eglise qui aurait donc, plus que jamais, une carte maîtresse à jouer. A commencer par les domaines où elle est historiquement en pointe : l'éducation et la solidarité. Son action caritative (CCFD, Secours catholique) et ses interventions dans le débat public - par exemple, pour contester certains aspects de la politique du gouvernement en matière de justice sociale ou d'immigration - fondent sa légitimité auprès d'une partie de l'opinion.

Parallèlement, l'éthique et la bioéthique semblent s'imposer comme des chantiers d'avenir. « L'attente d'un langage clair de l'Eglise sur le début et la fin de vie, la sexualité, la dépendance ou le handicap est réelle, y compris chez les politiques, les médecins et les intellectuels qui ne partagent pas son avis », constate le Pr Xavier Mirabel, médecin cancérologue à Lille (Nord) et président de l'Alliance pour les droits de la vie (ADV).

Pour autant, alors qu'elle n'est plus qu'une voix parmi d'autres, l'Eglise parvient-elle à peser dans le débat public ? La Conférence des évêques de France (CEF), pour commencer, est-elle entendue par les décideurs politiques ? Sur ce plan, la France n'est pas comparable à l'Espagne ou à l'Italie, où les épiscopats interviennent avec pugnacité dans les débats, pour des résultats inégaux. « En France, à quelques exceptions près, l'institution se fait discrète », observe l'historien Ludovic Laloux, spécialiste du catholicisme contemporain à l'université de Lille III.

Les cardinaux André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques, et Philippe Barbarin, archevêque de Lyon (Rhône), sont les personnalités les mieux identifiées. Quant à Mgr Dagens, auteur de textes fondateurs comme la Lettre aux catholiques de France (1996), son élection à l'Académie française va sans doute contribuer à étendre sa notoriété au-delà du monde catholique. Une vieille culture du consensus, nourrie des séquelles de la « guerre des deux France », pousse généralement les évêques à arrondir les angles. « Plutôt à l'aise sur le terrain bien balisé du social, la CEF est nettement plus timide sur la bioéthique », estime Luc Perrin, historien à la faculté de théologie catholique de Strasbourg (Bas-Rhin).

Rendre l’Eglise audible

Rendre l'Eglise audible dans la société, c'est aussi le défi de milliers de laïcs, associations, intellectuels, qui relaient sa parole plus que dans un passé où l'institution semblait solide. « La modernisation de l'Eglise passe par la formation et l'utilisation de techniques de pointe dans le tissu associatif, quitte à s'inspirer des méthodes de l'entreprise », plaide le Pr Mirabel, de l'ADV. L'association établit chaque année un contact avec près de 400 000 personnes, souvent après un avortement ou à une tentative ratée de procréation médicale assistée. « Sans doute manque-t-il, à l'heure actuelle, une pastorale de la santé adaptée à ces nombreuses demandes », souligne Xavier Mirabel.

Dans le monde politique aussi, des catholiques gravitent, jusque dans l'entourage du président de la République, à l'instar de sa conseillère Emmanuelle Mignon. « Jamais, depuis cent ans, nos dirigeants n'ont autant pris en compte la présence chrétienne dans la société », observe le P. Philippe Verdin. Toutefois, « le choix de Nadine Morano (NDLR : favorable à l'euthanasie et à l'homoparentalité) comme secrétaire d'Etat à la famille montre les limites de l'influence catholique dans l'actuelle majorité », note Luc Perrin.

Enfin, sur le plan culturel, l'intuition du cardinal Jean-Marie Lustiger (1926-2007) doit déboucher sur l'inauguration, par Benoît XVI, du centre des Bernardins à Paris, lieu original de rencontre entre l'Eglise et le monde de la culture. « Le concile Vatican II n'a-t-il pas fait de cette dernière une priorité, après la famille mais avant le social ? » rappelle Mgr Hervé Giraud, évêque de Soissons. Dans son diocèse rural, ce mélomane veut recevoir tout ce que la région compte de peintres, de musiciens, de comédiens... « En s'éloignant des artistes, l'Eglise s'est privée de leur capacité à exprimer les grandes interrogations du moment », regrette Mgr Giraud. Lors de son passage à Paris, Benoît XVI, un autre mélomane, fera-t-il de la culture le fer de lance d'une présence renouvelée de l'Eglise dans la société ?

(1) Catholicisme, la fin d’un monde, Ed. Bayard, 333 p. ; 23 €.
(2) Ed. Cerf, 150 p. ; 15 €.
(3) La République, les religions, l’espérance, de Nicolas Sarkozy, Thibaud Collin et Philippe Verdin, Ed. Pocket, 208 p. ; 6,40 €.

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